Cette semaine, EdLive vous présente le portrait de Guy Martial Ngowa Nzali et de la fondation que sa mère, Dorothée Nzali, a créé. Guy, jeune camerounais, atteint d’une paralysie cérébrale affectant sa motricité et son langage, a connu un parcours scolaire semé d’embûche qu’il a su surmonter. Aujourd’hui diplômé de l’ETS en génie logiciel, il est ingénieur au Québec. A la demande de son fils, Dorothée Nzali a fondé en 2005 la fondation Guy Martial afin de venir en aide aux enfants en situation de handicap au Cameron, trop souvent marginalisés et laissés sans soutient pédagogique adapté. EdLive vous propose de découvrir cette magnifique entrevue ci-dessous.

 

Pourriez-vous me parler brièvement de votre parcours ?

Guy : Je suis né au Cameroun. J’ai grandi dans mon pays natal. Je suis arrivé au Québec à l’âge de 23 ans pour continuer mes études à l’ETS (Ecole de Technologie Supérieure). J’y ai étudié 7 ans et j’ai maintenant un baccalauréat en ingénierie.

 

Et pourquoi le Québec ?

Guy : Au départ, j’avais le choix entre la France et le Québec. Avec mes parents et ma famille, nous avons pesé le pour et le contre de chaque option. Par exemple, la surpopulation en France crée un environnement un peu difficile pour l’insertion de personnes en situation de handicap. Les ressources disponibles peuvent être limitées en France. Du point de vue ouverture, là, c’est mon point de vue, la France a déjà atteint son apogée alors que le Québec est encore en train de monter. Le Québec est en train d’apprendre des erreurs de la France, de l’Amérique et bien d’autres pays.

 

Comment sont les structures éducatives pour les personnes en situation de handicap au Cameroun ?

Guy : Au fur et à mesure du temps, comme dans tous les pays du monde, le Cameroun essaie de s’adapter. Nous avons un certain retard, certes, mais je ne crois pas que le retard soit si grand, que celui du Québec par exemple, ou encore que celui de la France. Cela dépend de l’angle avec lequel on analyse. Les trois différences majeures sont au niveau de la technologie, de l’application des lois en général et la structuration des services, c’est mon point de vue. Moi, par exemple, dans mon pays, je suis l’un des premiers étudiants à avoir passé le Certificat d’Etude Primaire (CEP). C’est quand j’ai passé mon certificat d’étude primaire que le gouvernement a commencé à tenir compte de nos handicaps dans les fiches d’examen, il y a de cela 15 ans. Au BEPC (Brevet d’Etude du Premier Cycle), c’était la même chose. J’étais le premier, il fallait trouver un moyen de s’adapter. Au fur et à mesure que j’avançais, j’ouvrais des portes.

Au Québec, je ne sais pas exactement comment ça s’est passé. Mais à mon arrivée, ce n’était pas aussi évident qu’on peut le penser. J’ai dû me battre pour affirmer ma place auprès de certaines personnes dans mon entourage (amis, enseignants, camarades…). En effet, il m’arrivait constamment de me retrouver dans les laboratoires de l’ETS après 1:00 Am parce que je devais finir un devoir à rendre ou réviser mes leçons. Je peux dire sans exagérer que c’était devenu ma deuxième maison.  Mes week-ends étaient des moments où j’essayais de rattraper mes retards par rapport aux autres. Mais parfois en vain. Je n’avais donc pas le temps pour faire autres choses que l’école (fêtes, distraction, …). C’était aussi le prix à payer pour devenir ce que je suis devenu « Ingénieur junior » parce que mon handicap vient avec une certaine lenteur dans l’exécution des tâches.

 

Pouvez-vous me parler un peu de votre fondation ?

Guy : A la fin de mes années de maternelle, la directrice de mon école dit à ma mère de chercher une école plus adaptée pour moi. Après ça, on a commencé à faire des recherches… Finalement, on m’a mis dans une école pour handicapés mentaux. On ne faisait pas d’école là-bas, c’était principalement de la rééducation. A un moment donné, en journée on nous demandait d’aller dormir. Or, j’avais commencé par la maternelle, où j’apprenais déjà à écrire et à compter. La rééducation qu’on a faite là-bas, m’a permis de palier à certains problèmes que j’avais. Mais je ne me sentais pas dans mon milieu.

L’année suivante, quand ma mère a voulu me réinscrire là-bas, je lui ai demandé si ça voulait dire que je n’étais pas normal. Quand je lui ai demandé cela, elle a directement cherché une autre école. J’ai été à l’école des sourds et muets de la SIL (Section d’Initiation au Langage) au CE1.

Après ça, ma mère a vu que mon comportement avait changé, parce que je m’exprimais davantage avec le langage des signes qu’avec la parole. Elle a décidé de me ramener à l’école « normale ». On a rencontré plein d’écoles qui ont refusé de me prendre. On est tombé sur le directeur d’une école qui a décidé de m’évaluer. Lors de mon évaluation, il a vu que j’avais le niveau et il m’a pris au CE2. J’ai été du CE2 jusqu’au CM2 dans cette école. Ça n’a pas été facile, mais comme je disais tantôt, le directeur, mes parents et mes enseignants trouvaient des moyens d’adaptation : ça pouvait être l’enregistrement des cours, la prise de note par l’enseignant, du temps supplémentaire lors des examens… Lorsque j’ai passé mon CEP, l’école rédigea une lettre pour dire qu’elle avait un cas spécial sous la main et qu’elle avait besoin de certains aménagements. C’est comme ça que j’ai pu passer mes examens.

C’est justement après mon CEP que j’ai ressenti une joie énorme. Autour de moi, il y avait des personnes qui ne croyaient pas que je pouvais l’avoir. La même semaine, j’ai croisé l’un de mes camarades de classe, un de mes amis, avec qui j’avais fait le centre de rééducation pour personnes handicapées mentales. Je l’ai rencontré et je lui ai demandé « Tu fais quoi maintenant ?», il m’a dit qu’il ne comprenait pas ce que cela signifiait. J’ai pris un caillou, écris mon nom sur le sol et lui ai demandé d’écrire son nom. Il n’a pas pu écrire son nom. Ça m’a fait mal au cœur. Je suis parti et j’ai dit à ma mère « Maman, que sont devenus les autres enfants que j’ai côtoyé dans le centre de rééducation des personnes handicapées mentales ? ». En ce temps-là, on considérait la déficience intellectuelle comme handicap mental. Ma mère n’a pas pu me répondre. J’ai dit « Maman, il faut ouvrir un centre qui va scolariser ces enfants. Il faut ouvrir un centre qui va leur apprendre à écrire, à communiquer et à partir à l’école comme tous les autres enfants. ». Ma mère m’a dit que ça n’allait pas être facile et que c’était une tâche compliquée que j’étais en train de lui demander. C’est comme ça que l’année qui a suivi ma mère est entrée à l’école. Elle a fait une formation en psychomotricité. Et, en décembre 2005, on ouvrait le centre Fondation Guy Martial.

 

Actuellement, comment fonctionne la Fondation Guy Martial auprès des enfants en situation de handicap ?

Guy : Chaque enfant est suivi individuellement. Nous avons organisé nos salles de classes sous forme de CLISS (Classe d’Insertion Scolaire et Sociale). Quand l’enfant arrive, on lui fait un examen psychomoteur, après cet examen, on sait exactement dans quelle classe il doit être. Il y a des enfants qui sont particulièrement suivis, et puis il y a des enfants qui évoluent normalement. La prise en charge à la fondation peut intervenir par le biais d’enseignants, de l’école normale, de thérapeutes (c’est-à-dire psychomotriciens, psychologues, etc.) et bien d’autres choses.

Dernièrement, nous avons ouvert un centre d’informatique que nous sommes présentement en train d’équiper pas à pas. Pour le moment, nous avons un élève qui a eu le CEP, mais malheureusement son handicap ne lui permet pas de poursuivre au secondaire. Nous l’avons pris dans le centre informatique, où nous espérons faire de lui un grand informaticien.

 

Quel est l’avenir de la fondation ?

Guy : Nous avons le projet de se répandre, non pas seulement à l’intérieur du Cameroun, mais aussi à l’étranger. Cela va prendre le temps que ça va prendre, mais je crois que nous y arriverons. Peut-être qu’on ne va pas toujours être la Fondation Guy Martial, peut-être que d’autres personnes vont reprendre notre initiative ; mais mon plus grand souhait, c’est que l’idée qui est derrière soit propagée à travers le monde, c’est-à-dire l’insertion des enfants en situation de handicap dans tous les milieux, que ce soit les milieux académiques, les milieux familiaux, les milieux professionnels… Mon plus grand souhait, c’est ça.

 

Si des personnes souhaitent aider ou en savoir plus sur la Fondation, que doivent-ils faire ?

Mme Nzali : Ils peuvent prendre des informations en direct (via téléphone, mail, Messenger ou dans nos locaux), on essaie de communiquer au maximum et par la suite, on leur fait part de nos besoins.

 

Si vous aviez un message à transmettre aux gens qui vont lire cette interview, quel serait-il ?

Mme Nzali : Mon souhait serait que son rêve devienne réalité. C’est lui qui m’a demandé quand il a eu son examen, ce qu’étaient devenus les enfants comme lui. Un jour, je lui ai dit « ce que tu me demandes est difficile ». Il a fallu que je me sacrifie, il a fallu que toute ma vie tourne autour de lui et ce projet, tous mes mouvements étaient fixés sur lui. Je me suis demandée comment faire pour améliorer sa condition, pour qu’il ne se sente pas différent des autres. Avec les autres parents, ça n’est pas toujours comme ça. Nombreux sont les enfants comme lui qui sont abandonnés et dont les familles ne cherchent pas à comprendre le problème pour essayer de les aider. Chez nous, il y a encore trop de problèmes de superstition. Les gens ne se focalisent que sur ça pour dire que l’enfant a des difficultés. Certes ça peut être le cas, mais il faut trouver des moyens pour pouvoir venir en aide à ces enfants, essayer de remédier à leur situation. Et c’est ce que nous aimerions, aider vraiment les enfants qui sont dans cette situation, et surtout les parents qui n’ont même pas les moyens de pouvoir subvenir à la prise en charge de ces enfants. La prise en charge est vraiment énorme, le coût est énorme et il faut vraiment avoir des moyens pour pouvoir assumer cette charge. Nombreux sont les parents qui commencent et abandonnent en cours de route parce qu’ils n’ont même pas de moyens de transports pour se rendre au lieu de la rééducation. Ça devient très compliqué et ces enfants ont perdu toute une vie.

Ce que j’apporte, c’est surtout une prise en charge complète incluant scolarisation et rééducation. J’ai fait ma formation en psychomotricité pour pouvoir mieux comprendre le problème de Guy et voir comment y remédier. Et c’est à partir de là que j’ai décidé de créer un centre pour pouvoir aider les autres enfants qui sont comme lui. C’est surtout sur cette prise en charge psychomotrice que je m’appuie pour aider les autres enfants. Donc, quand les parents disent qu’ils comprennent la nécessité de vraiment faire un effort pour essayer d’accompagner ces enfants, quand ils viennent vers moi, je prends ces enfants en charge et fais avec eux de la rééducation et/ou de la scolarisation.

Notre souhait, c’est d’agrandir le centre, de trouver un site approprié, de rendre financièrement accessible l’éducation de ces enfants afin qu’ils soient valorisés et ne se sentent pas trop différents des autres. Surtout avec l’appui de Guy parce que vraiment ce n’est pas facile. Si jusqu’à présent j’ai tenu, c’est surtout grâce à l’appui de Guy. Il m’a toujours dit « Maman, tu as commencé, tu ne peux pas t’arrêter là, toi seule peut continuer ». Il m’a dit « Je fais mes études, je sors ingénieur ; si je sors ingénieur, l’argent que je gagnerai sera réinvesti dans le but d’améliorer la condition des enfants en difficultés », donc je compte sur lui. Pour moi, il m’est d’une très grande aide, c’est lui qui m’encourage vraiment dans le projet.

Ce qu’il projette pour ces enfants, c’est tellement grand. Je prie pour qu’il soit compris par les gens de bonne volonté et qu’ils puissent s’investir dans ce projet : créer une infrastructure appropriée pour ces enfants ; qu’on puisse accompagner ces enfants autant qu’on le pourra ; et que ceux qui peuvent se démarquer puissent se démarquer et s’imposer dans la société.

 

 

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